La construction de réserves ou de retenues d’eau de substitution pour irriguer les cultures agricoles françaises, appelées aussi méga bassines, suscite une forte opposition, qui s’est matérialisée à plusieurs reprises par des manifestations dans la région des Deux-Sèvres. Alors, de quoi parle-t-on exactement, et quels sont les arguments de part et d'autre de l’opposition ? Bene Bono fait le point !
C’est en 2017 que les citoyens français ont entendu pour la première fois le terme de “méga-bassines”, au moment de la validation par la Commission Locale de l’Eau du “Projet de territoire du bassin de la Sèvre Niortaise” pour le programme de dix-neuf réserves de substitution agricole, réduit par la suite à seize, dans le sud de la région des Deux-sèvres.
**Mais alors, de quoi parle-t-on précisément ? **
Les méga-bassines, ce sont des ouvrages artificiels construits en plaine et destinés à stocker l’eau prélevée l’hiver pour irriguer les cultures en période de sécheresse. Entre les mois de novembre et de mars, l’eau des nappes phréatiques ou des cours d’eau est puisée pour alimenter ces réservoirs et réduire les prélèvements d’eau durant l’été : c’est le principe de substitution. Ces bassins, protégés par des digues, sont plastifiés, imperméables et s’étendent en moyenne sur une superficie de huit hectares (soit l’équivalent de plus de 11 terrains de football). Pour les plus grands d’entre eux, ils peuvent couvrir jusqu’à dix-huit hectares,
D’autres méthodes existent déjà pour retenir l’eau. Ainsi, les barrages, construits au travers d’un cours d’eau, peuvent retenir des quantités importantes destinées à différents usages. C’est également le cas des retenues collinaires artificielles qui sont alimentées par les eaux de ruissellement et qui se situent généralement sur des terrains vallonnés. Cependant, ni les barrages, ni les retenues collinaires ne savent remplacer un prélèvement estival, contrairement à ce que peuvent faire les méga bassines.
Que disent les défenseurs du projet ?
D’abord, les pro méga-bassines arguent que ce projet répond à un besoin. En France, 5% des agriculteurs pratiquent l'irrigation, tandis que 95% d’entre eux dépendent entièrement de la pluie. Or, avec les sécheresses plus fréquentes, la pratique de l’irrigation risque d’être amenée à se développer. Pour irriguer, il faut des réserves d’eau, c’est-à-dire des cours d’eau, des barrages ou des nappes phréatiques, alors que ces différentes sources tendent à se raréfier lorsque la pluviométrie est basse. Les méga-bassines permettraient à certains agriculteurs de pratiquer l’irrigation, en hiver comme en été.
Ensuite, les défenseurs des méga-bassines soulignent qu’elles sont remplies en prélevant dans la nappe phréatique uniquement lorsqu’elle déborde, à savoir en période hivernale, ou bien lorsque le débit des cours d’eau alimentant la retenue est fort. Dans une parution intitulée : “Méga-bassines : sept questions sur ces réserves d'eau pour l'irrigation”, la direction de l’information légale et administrative (DLA) française précise ainsi que nous sommes “au-dessus de seuils à partir desquels le prélèvement d’eau porte préjudice à la faune et la flore” et cite une évaluation du BRGM du projet de construction dans les Deux-Sèvres publiée en juillet 2022, selon laquelle les méga-bassines ont "un impact négligeable" sur les nappes souterraines dans le cas précis du projet des Deux-Sèvres. Selon ce rapport également, le projet permettrait une amélioration globale du niveau des nappes phréatiques au printemps et en été et une augmentation du débit des cours d’eau de l’ordre de 5 à 6%.
D’autre part, grâce à la retenue, il est possible de réduire les prélèvements estivaux, ce qui entraîne une réduction de la pression sur les eaux de surface ou souterraines en période de sécheresse. Le projet est appuyé par une étude d’impact de plus de 1600 pages “qui a fait l’objet, à la suite d’une enquête publique menée début 2017, d’une autorisation par un arrêté préfectoral interdépartemental (suivi de plusieurs arrêtés préfectoraux contenant des prescriptions complémentaires), attaqué sans succès devant la juridiction administrative”, comme le souligne le rapport d’information du Sénat “Éviter la panne sèche : huit questions sur l’eau”.
Enfin, la Coop de l’eau, en charge du projet des seize méga bassines de la région des Deux-Sèvres, met en avant la diversité des irrigants qui seront reliés à l’ensemble des -s, dont plusieurs agriculteurs bios.
Que disent les opposants aux méga-bassines ?
En face, quels sont les arguments des opposants au projet de méga-bassines ?
D’abord, il est reproché aux méga-bassines de perturber l’équilibre naturel des sols. D’une part, les méga-bassines, en raison même de leur présence sur plusieurs hectares avec des bâches plastiques, pollueraient la qualité des sols sur lesquels elles se trouvent. D’autre part, pomper l’eau en hiver reviendrait à obtenir un niveau de réserves d’eau plus faible toute l’année et à fragiliser les milieux aquatiques qui sont reliés à ces réserves, notamment dans la région du Marais poitevin, la deuxième plus grande zone humide de France.
Par ailleurs, selon les opposants, les méga-bassines permettent aux agriculteurs qui en profitent, de poursuivre leur production “comme si de rien n’était”, sans prendre en compte le signal écologique de Dame Nature. Les méga-bassines inciteraient les productions et les méthodes gourmandes en eau, puisque cette ressource devient tout à coup disponible en grande quantité, créant ainsi un faux sentiment de sécurité, ce qui renforcerait la vulnérabilité de toutes les exploitations en cas de sécheresse.
Ensuite, il est reproché aux méga-bassines d'altérer la qualité de l'eau, voire de la gâcher. En effet, lorsque l’eau fraîche et qualitative des nappes phréatiques est stockée dans les réserves d’eau de substitution, il est possible que deux phénomènes cumulatifs s’opèrent : le premier est celui de l’évaporation. Cette perte est estimée entre 20 à 60% pour Christian Amblard, spécialiste de l'eau et des systèmes hydrobiologiques, directeur de recherche honoraire au CNRS. Le second phénomène est ce que l’on appelle l’eutrophisation de l’eau, c’est-à-dire le processus d’accumulation de nutriments dans un écosystème aquatique. Lorsque ce dernier reçoit un nombre trop élevé de matières nutritives assimilables par les algues, celles-ci prolifèrent. Ce phénomène est accentué en cas d’absence de courant et d’ensoleillement élevé.
Quatrièmement, les opposants dénoncent un accaparement de l'eau des nappes souterraines pour maintenir un modèle agro-industriel “dévastateur", comme le souligne l’association Bassines Non Merci. Ils estiment que ces retenues d'eau servent essentiellement à alimenter des productions très gourmandes en eau (notamment la production de maïs), majoritairement destinés à l’élevage industriel, au détriment de solutions locales et paysannes. De plus, ces méga-bassines coûtent cher au contribuable au moment de leur construction car elles ne s’appuient pas sur le relief existant (il y a de forts coûts énergétiques pour le pompage), et mobilisent d’importants crédits publics, financées à 70 % par des fonds publics des agences de l’eau. Les opposants soulignent également que ces réserves conduisent à une iniquité entre les agriculteurs irrigants et les autres. En effet, une minorité d’exploitations (environ 5%) aura le privilège d’être connectée à la bassine et de bénéficier de cette eau pour irriguer les cultures l’été, alors que le reste du territoire devra s’adapter aux restrictions préfectorales.
Enfin, les opposants parlent de solution trompe-l’œil. Sera-t-il possible de remplir ces méga-bassines dans les prochaines décennies alors que les hivers ne sont pas toujours pluvieux ? En effet, les seuils de remplissage des réserves ne tiennent aujourd’hui pas compte de la disponibilité en eau mais uniquement des besoins à satisfaire.
Si cette opposition reste virulente, elle a cependant quelques retombées positives. L’actualité relance en effet le débat clé pour la société autour de l'adaptation climatique et des questions plus larges liées au futur de notre modèle agricole. Par ailleurs, les discussions ont donné lieu en 2022 à un protocole d’accord, une première en France, dans lequel les agriculteurs qui veulent bénéficier des méga bassines doivent s’engager à une agriculture de conservation des sols qui permet de cultiver autant, avec moins d’eau. Cela consiste en trois piliers : le couvert végétal (augmenter le nombre de plantes dans les champs fait baisser la température des sols en leur faisant de l’ombre), la rotation des cultures (la variété des cultures diminue la présence de mauvaises herbes, gourmandes en eau) et le principe du non-labour (les restes végétaux de la culture précédente sont laissés au sol ralentissant l’évaporation de l’eau, et les microorganismes prospèrent pour laisser l’eau s’infiltrer en profondeur).
Pour aller plus loin :
Les derniers rapports d’information du gouvernement sur l’avenir de l’eau. Le lien vers l’association Bassines Non Merci. Le reportage vidéo du Monde sur les polémiques après les affrontements à Sainte Soline le week-end du 25 mars.
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