Les consommateurs préfèrent souvent des produits de taille relativement standard, sans taches, entailles, bosses et autres originalités physiques que certains pourraient qualifier d’imperfections. Cela signifie que les fruits et légumes difformes, décolorés, plus petits ou plus grands sont fréquemment rejetés avant d'arriver dans les rayons des supermarchés, même bios. Mais alors, qu'est-ce qui fait que, en tant que consommateur, on se dirige instinctivement vers des produits stéréotypés ? Nous avons mené l’enquête pour comprendre les raisons de ces comportements et trouver des solutions pour les changer. En jeu, que du bon ! Moins de gaspillage pour la planète, des produits cultivés pour être consommés, des producteurs plus satisfaits de leur fin de mois et des consos ravis de partager des repas sans devoir débloquer leur P.E.L !
Gaspi, la faute à qui ?
Depuis quelques semaines, l’été est bel et bien là et la recherche d’une ligne exemplaire pour afficher son summerbody est heureusement de moins en moins à l’ordre du jour. Ouf ! Même si ce n’est pas encore impeccable, la société se rend progressivement compte que cultiver la perfection conduit à l’insatisfaction, si l'on en croit une étude publiée par l'Université de Nouvelle-Galles, en Australie. Et pourtant, c’est encore ce que nous demandons à nos assiettes, peu importe les saisons : des fruits et légumes à l'esthétique digne d’une couverture de Vogue. Si les supermarchés jouent un rôle dans ce processus — en faisant le choix de présenter les produits sous leur meilleur angle et en imposant des normes esthétiques élevées à leurs fournisseurs -, nous devons nous aussi faire un examen de conscience : choisirions-nous une pomme de terre ovale et de couleur mate ou préférerions-nous celle qui est brillante et parfaitement arrondie ?
Les efforts déployés par les producteurs pour répondre aux spécifications rigoureuses des consommateurs conduisent parfois à ce que des produits parfaitement comestibles soient jetés avant même d'avoir quitté une exploitation agricole, ou après avoir été présentés sur les étalages, faute d’avoir trouvé preneur. En conséquence, l’injonction de la perfection des fruits et légumes participe significativement au gaspillage alimentaire, en France comme ailleurs.
Selon les derniers chiffres publiés par l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l’agriculture (FAO) :
- le volume mondial de gaspillage et pertes alimentaires est estimé à 1,6 milliard de tonnes, soit un tiers de la nourriture produite dans le monde ;
- dans le cas des fruits et légumes, près de la moitié (45 %) est jetée ;
- l'empreinte carbone du gaspillage alimentaire est estimée à 3,3 milliards de tonnes de CO2 rejetés dans l'atmosphère chaque année. Si c’était un pays, ce serait le troisième plus pollueur derrière les États-Unis et la Chine (!!) ;
- le volume total d'eau utilisé chaque année pour produire de la nourriture perdue ou gaspillée équivaut au débit annuel du fleuve Volga en Russie, ou trois fois le volume du Lac Léman.
Imaginez l’eau du lac Léman complètement gaspillée… fou, n’est-ce pas ?
C’est pourquoi, dans une planète affectée par des événements météorologiques extrêmes et le changement climatique, c'est non seulement une question d'éthique, mais aussi d’économie de ressources, de tirer le meilleur parti des fruits et des légumes imparfaits ! En effet,** la production des aliments que nous jetons utilise des ressources naturelles précieuses**. À titre d'exemple, et toujours selon la FAO, il faut en moyenne 13 litres d'eau pour produire une tomate et 50 litres pour produire une orange. Il faut également des semences, des terres, le travail des agriculteurs et du carburant pour transporter les aliments. Toutes ces ressources sont perdues lorsque les fruits de ce travail sont gaspillés, prouvant une fois encore que le mieux est souvent l’ennemi du bien !
“C’est pas toi, c’est moi !”
Pour comprendre les raisons du gaspillage des fruits et légumes, plusieurs chercheurs se sont récemment penchés sur les raisons qui poussent les consommateurs à toujours privilégier les produits aux critères esthétiques les plus rigoureux. Dans une étude publiée en 2019, deux auteurs britanniques de l’Université de Reading se questionnent sur les perceptions et les comportements d'achat des consommateurs à l'égard des fruits et légumes imparfaits. Pour obtenir leurs résultats, ils font vivre l’expérience d’une épicerie en réalité virtuelle immersive à 142 participants. Ces derniers se sont vus présenter des fruits et légumes au look conventionnel, légèrement difforme, modérément difforme ou exagérément difforme. Les résultats de l'étude indiquent que les acheteurs ont tendance à acheter un nombre similaire de produits, quel que soit leur niveau de difformité. Toutefois, la perception de la qualité des fruits et légumes dépend du degré de difformité. Les fruits et légumes modérément difformes sont perçus comme nettement meilleurs que ceux qui sont fortement difformes. Par ailleurs, et plus étonnant cette fois-ci, les consommateurs préfèrent les légumes modérément difformes à ceux qui sont légèrement difformes.
En 2020, deux auteurs canadiens ont également publié une étude sur le sujet, laquelle conclut que les consommateurs idéalisent les prototypes de fruits et légumes, justifiant une aversion pour les produits difformes. Ils démontrent par ailleurs que les consommateurs qui ont une plus grande expérience de la cueillette et de la culture des fruits et légumes possèdent des prototypes moins biaisés par rapport à la beauté esthétique. Ils en concluent que l’augmentation de l'exposition des consommateurs aux produits difformes peut accroître l'acceptation de ces produits. Ainsi, la politique de l’alimentation pourrait avoir un impact sur l'environnement, en redirigeant les préférences des consommateurs vers des normes plus nuancées. Autrement dit, l’État et les collectivités, en exposant davantage nos yeux à l’imperfection des fruits et légumes, pourraient nous faire changer nos habitudes de consommation !
Il est temps d’agir : sensibiliser pour éduquer
Pour modifier la perception des consommateurs sur les fruits et les légumes au look non conventionnel, ou du moins, abaisser leurs standards esthétiques, plusieurs actions sont possibles. D’abord,** l’intégration d'activités de jardinage dans les programmes de sciences** des écoles primaires permettrait d'accroître le nombre d’individus sensibilisés à la cueillette. En particulier, en exposant les personnes aux variations naturelles des fruits et légumes, l'expérience directe de la culture de ces aliments peut entraîner la formation de prototypes plus réalistes, réduisant ainsi l'aversion pour les produits difformes. Par ailleurs, la sensibilisation à l'impact environnemental et économique du gaspillage alimentaire est un outil majeur et elle peut se faire par divers canaux complémentaires dont des campagnes de communication, d'affichages dans les magasins et sur les réseaux sociaux. Et là, c’est à nous de jouer !
Et les industriels dans tout ça ? Entre tarifs préférentiels et autres circuits d’approvisionnement
Les supermarchés et autres grands distributeurs alimentaires pourraient revoir leurs normes esthétiques afin d'accepter une plus grande variété de produits, y compris les fruits et légumes imparfaits. Cela permettrait de réduire le gaspillage alimentaire en garantissant la vente d'un plus grand nombre de produits. En 2014, Intermarché avait notamment reçu le Grand Prix Stratégies pour une publicité qui avait fait grand bruit sur les fruits et les légumes moches. L’opération consistait pour la première fois à la vente en vrac de fruits et légumes ne correspondant pas aux critères esthétiques en vigueur, pour des prix inférieurs en moyenne de 30% à ceux pratiqués par le marché. Preuve que les fruits et légumes moches n’ont rien à envier gustativement à leurs homologues, l’enseigne avait également fait des soupes de légumes et des jus de fruits, uniquement avec des produits moches. Car comme pour nous les humains, la beauté réelle réside souvent à l’intérieur !
Selon le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant sur l’organisation commune des marchés dans le secteur des produits agricoles, un fruit ou un légume commercialisé doit être « intact, sain, propre et exempt de parasite ». Or, la Commission européenne a proposé le 21 avril 2023 d'exempter des normes de commercialisation les fruits et légumes dits “moches” et définis comme présentant des défauts externes, mais toujours adaptés à la consommation locale ou directe. Plus en détails, "leur valorisation dans leur état « frais » pourrait offrir aux consommateurs davantage de possibilités d'acheter des fruits et légumes frais à des prix plus abordables et bénéficier aux producteurs actifs dans les circuits courts" précise la Commission Européenne. À noter cependant que cela sera uniquement possible dans le cadre d’une vente locale et directe entre producteurs et consommateurs.
La Commission européenne (tout comme nous héhé) considère qu’un circuit distinct de la grande distribution pour la vente des fruits et légumes au look non conventionnel permettrait d'augmenter les bénéfices des producteurs, de faire baisser les prix pour les consommateurs et de stimuler la demande globale de fruits et légumes. Pour les détaillants, il s'agit d'une opportunité de revenus supplémentaires qui s'ajoutent aux ventes actuelles de produits standard aux magasins. Ça vous rappelle quelque chose ? Cependant, toute solution permettant d'accroître la présence de produits locaux dans les rayons des magasins des supermarchés (et non exclusivement par la vente directe producteur-consommateur) pourrait améliorer la disponibilité des aliments frais, en particulier dans les zones urbaines. La réduction des déchets alimentaires augmentera l'efficacité de la chaîne d'approvisionnement et pourrait permettre aux supermarchés et aux primeurs de proposer des prix plus bas.
En mettant en œuvre ces solutions, la chaîne d'approvisionnement peut réduire la quantité de fruits et légumes imparfaits gaspillés, tout en fournissant aux consommateurs des produits sains et abordables.
Parmi les autres mesures qui pourraient être mises en œuvre pour compenser le gaspillage alimentaire, celle de l’obligation de composter tout ce qui ne peut être vendu pour les supermarchés. Cela permettrait de réduire les déchets alimentaires tout en créant un sol riche en nutriments pour les cultures futures.
Pour aller plus loin :
- Le site de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture.
- Liste des rapports et discours publics français par date, du plus récent au plus ancien sur le gaspillage.
- Une vidéo sur l’objectif de réduction du gaspillage alimentaire en France (2022, Ministères Écologie, Énergie et Territoires)
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